Une ambition chevillée à la volonté d’Hugues Lallemand, expert du développement de grands projets économiques et touristiques
Nous nous entretenons aujourd’hui avec Hugues Lallemand, amoureux de la France, de ses territoires, de la solidarité humaine et du principe d’interactivité positive pour le développement. On peut résumer son action comme étant celle d’un pionnier du marketing territorial.
Avant de lui poser quelques questions, jetons un coup d’œil sur une photographie instantanée du territoire français d’aujourd’hui, sous l’angle de la dynamique des structures. On voit que la longue tradition jacobine d’une centralisation à outrance continue à survivre, malgré les efforts de décentralisation et de délocalisation survenus à différentes époques.
Notamment, depuis 1982, la France a été “restructurée” via ce processus de décentralisation, une démarche, qui, a priori devait bénéficier à l’autonomie des différentes régions et de leurs territoires, départements, regroupements de communes…
Au fil du temps, le concept semble s’être vidé de son sens, puisque cette autonomie annoncée s’est accompagnée d’une répartition des ressources financières toujours plus défavorable aux collectivités territoriales et locales… Une rapide revue de presse permet de constater qu’à ce jour, les Grands Projets mobilisant des milliards d’euros sont presque exclusivement situés… En Ile de France !
Pendant ce temps, dans le reste de la France, de vastes territoires ruraux se désertifient, vieillissent et s’appauvrissent, malgré la beauté de leurs paysages, la qualité exceptionnelle de certains sites touristiques, voire leurs excellentes traditions gastronomiques.
C’est le cas, en particulier, d’une vaste région du Sud-Ouest où l’on assiste à une désertification progressive qui semble inéluctable. On comprend d’ailleurs pourquoi le mouvement des “Gilets Jaunes” a pris beaucoup d’ampleur dans cette région, car cela traduit une fracture sociale dont l’origine est dans la fracture territoriale.
Monsieur Hugues Lallemand, ces territoires essentiellement ruraux, sans ville d’importance à proximité, subissent de plein fouet la fracture territoriale, que préconisez-vous ?
Hugues Lallemand : Dans le contexte, aucune amélioration n’est en vue, si d’autres éléments ne s’invitent pas à la table de l’avenir… Des éléments qui devront générer un impact économique, pour revitaliser l’environnement et freiner la paupérisation et la désertification qui s’installent, mais aussi mettre en évidence une politique de solidarité permettant de renforcer la cohésion sociale.
On parle de plusieurs types de de solidarité, comme celle qui vient naturellement de la famille, ou celle des voisins, mais aussi la solidarité institutionnelle ou organisée par les départements, mairies – CCAS, associations… A titre d’exemple, je peux évoquer le récent programme Départements Solidaires initié par le Conseil Départemental du Bas-Rhin et le Conseil Départemental du Nord, aujourd’hui rejoint par 22 président(e)s de départements. La France sait bouger !
Sur le plan strictement économique, des dispositifs sont déjà en vigueur : zones de revitalisation rurale, zones de montagne, les contrats de ruralité et territoires économiquement vulnérables… Toutefois, ils comportent souvent des listes exhaustives d’exemption ou de critères restreignant les objectifs initiaux de la Loi, ce qui les rend peu lisibles…
Dans les faits, certains territoires présentent des données socio-économiques préoccupantes, telles que l’éloignement des métropoles : hyper périphérie, difficultés de recrutement à tous les niveaux de qualification, difficultés d’insertion des conjoints, enclavement géographique et numérique et, pour les régions possédant un potentiel touristique, une hyper saisonnalité qui ne permet pas de l’exploiter à l’année…
On l’aura compris, il faut maintenant remonter ses manches ! Mais comment s’atteler à la tâche ?
Hugues Lallemand : Comme exposé un peu plus haut avec les initiatives solidaires, des outils existent, sur lesquels s’appuyer pour mettre en place les ingrédients de la riposte. L’espace rural est au cœur de ces préoccupations et il faut répondre au sentiment de ruralité abandonnée…
Pour déjouer ces phénomènes, il faut renforcer les dispositifs sur certains périmètres classés “zones de revitalisation rurale” en souffrance et donner aux élus des territoires concernés des leviers économiques et des projets structurants permettant de densifier l’activité économique, désaisonnaliser la destination, rajeunir la population, notamment en créant des emplois pérennes, grâce à l’implantation de nouvelles entreprises s’appuyant sur les forces vives existantes et devenant ainsi force d’attractivité ; il faut aussi favoriser la solidarité sociale et intergénérationnelle pour faire naître un esprit d’appartenance à un lieu et générer de la prospérité.
Hugues Lallemand, dans votre bouche, tout cela semble fluide à l’énoncé, mais quid de la mise en œuvre ?
Hugues Lallemand : Pour mettre en œuvre cette véritable politique de revitalisation et obtenir des résultats, il faut peut-être s’inspirer de ce qui a déjà été fait dans certains territoires de France, avec des résultats effectifs, et je vous donne un exemple connu : le Poitou, avec notamment la création du Futuroscope à Poitiers. Un projet que j’ai conduit avec le soutien des élus du Poitou, qui était un grand programme de développement de projets.
Il faut savoir que le territoire ne disposait quasiment pas d’industrie et ne pouvait non plus s’enorgueillir d’une grande ville dont la visite aurait pu à elle seule servir de base à une activité touristique. En tant que chargé du développement touristique du territoire, j’ai dû relever de nombreux défis pour atteindre un objectif dont nul aujourd’hui ne peut discuter la réussite, que ce soit en termes de notoriété, mais aussi et surtout d’impact économique positif. Au début de la page blanche, on avait une belle région, avec un patrimoine naturel et historique intéressant, où la vie est douce, mais… Comment y vivre à la mode du 20ème siècle ?
En quelque sorte, vous avez réécrit l’avenir du Poitou. Comment ça marche, un Grand Projet Territorial ?
Hugues Lallemand : Eh bien au début on est toujours devant sa page presque blanche… C’est là qu’il faut soigner l’écriture de la suite, en étant créatif, ambitieux et tenace… Imaginer des concepts, les structurer pour qu’ils soient viables, les adapter au terrain et les rendre attractifs pour donner envie de les mettre en œuvre. Il fallut convaincre des personnes clés, des élus qui devaient, quant à eux, vaincre la peur de se tromper et trouver le courage de se lancer, sans certitude de succès. Alors, pour cette histoire-là, j’avoue qu’ ils ont été courageux et le “marketing man” à l’américaine que j’étais a réussi à emmener avec lui des ressources humaines qui ont permis, en quelques années, de concrétiser de gros et de petits projets.
En effet, rien n’est possible rapidement. Les grands projets se construisent, s’alimentent, s’enrichissent des contributions de chacun et à chaque étape, il faut à nouveau convaincre. L’enjeu doit donc être suffisamment lumineux pour que les personnes se sentent désireuses de s’approprier les projets et capables de les gérer ensuite. Dans le Poitou, cela a été le cas, sur un axe touristique et en tant que développeur j’ai pu démontrer qu’une fois la machine lancée, il n’y avait pas de limites au succès des entreprises comme le Futuroscope, le Center-Parc du Bois aux Daims ou de grands parcs animaliers de nouvelle génération…
Peut-on considérer le développement touristique du Poitou comme un exemple générique ?
Hugues Lallemand : Ça, je ne le sais pas, mais en tous cas on peut généraliser l’idée que la fracture territoriale doit pouvoir se réduire, en mettant en place des projets d’envergure, pertinents par rapport au territoire qu’il concerne, validés et acceptés par les acteurs locaux, soutenus par une logique d’organisation lisible et cohérente. La finalité est la création d’activités et d’emplois, la lutte contre le vieillissement de la population et le développement des publics scolaires, amenant ainsi un rééquilibrage des services publics offerts à la population avec la hausse de l’assiette.
Les territoires ruraux défavorisés sont souvent accompagnés d’un important taux de vacance de locaux commerciaux et locatifs. Dans le contexte actuel qui incite de nombreux habitants des villes à vouloir « changer de vie » et se rapprocher de la nature, ce parc immobilier libre et disponible à prix modeste est un atout pour encourager les acquisitions immobilières nécessaires à l’accueil de nouvelles populations désireuses de trouver un salaire sur place et des services publics.
Si le moulin est construit, sa roue tourne et le processus de production, consommation, production se met en place…
C’est là aussi que les comportements solidaires trouvent leur place et permettent de créer des liens entre des personnes aux besoins différents mais souvent complémentaires. En institutionnalisant légèrement les process de solidarité, la confiance peut rapidement s’installer entre des personnes d’âge, de statut et de mode de vie différents et déboucher sur des solutions pratiques favorisant une amélioration du quotidien des familles en solo, duo ou en tribu … La logistique du quotidien allégée permet la redynamisation des activités, quelles qu’elles soient.
Les « Zones rurales défavorisées », des victimes du progrès ?
Hugues Lallemand : Les zones rurales « défavorisées » doivent sortir de la spirale de victimisation pour reprendre le contrôle de leur culture et de leur quotidien, pour peu que des moyens soient mis à disposition, non pas en surajoutant des dispositifs au dispositifs, mais en les réorganisant de manière à proposer l’initiative individuelle et mettre en place les éléments nécessaires à un démarrage… C’est aussi pour cela que l’émergence d’un Grand Projet qui se réalise grâce à des leviers politiques, économiques, humains est toujours un moteur pour faire naître de petits projets élaborés individuellement ;
Le Grand Projet touristique, économique, solidaire, formateur, sportif… C’est une locomotive qui emmène derrière elle de nombreux wagons. Il permet de faire bouillonner un territoire, de le rendre vivant et unique. Créer l’interactivité et l’émulation, donner envie à tout un chacun de créer son gite, son restaurant, un projet d’agrotourisme ou de permaculture, ou encore de réaliser une première artistique … Cela s’est passé dans le Poitou, où le résultat économique s’est fait sentir ; je suis heureux d’avoir joué un rôle que je pense déterminant dans la création d’un projet de région et d’en avoir vu la réalisation et la réussite.
Hugues Lallemand, le guerrier de la valorisation des territoires ?
Hugues Lallemand : Après plus de 25 ans passés au service des territoires, je n’ai pas baissé les bras. Je souhaite aujourd’hui lancer, avec d’autres acteurs, un concept de zone franche et proposer une réponse simple et réaliste à mettre en œuvre pour redynamiser rapidement ce vaste territoire rural*. Nous prétendons, en effet, que notre proposition est réaliste puisqu’elle ne se fonde pas sur l’octroi illusoire de financements publics ou privés, quasiment inexistants dans la situation économique actuelle du pays.
Pour relancer ces territoires en perte de vitesse, une réponse serait de créer des cellules de dynamique économique pour redessiner une stratégie et des domaines d’activités prioritaires à introduire sur toutes les communautés de communes du territoire. Une fois les domaines d’activité choisis, il faudra démarcher les entreprises privées ou les structures publiques de ces secteurs pour les convaincre de venir s’installer dans ces territoires.
Les collectivités locales et régionales devront alors s’engager à simplifier et clarifier effectivement leur réglementation et leur panoplie d’aides aux entreprises. Cette démarche s’appuie également sur l’adoption d’un dispositif simple et clair d’exonérations et qui deviendrait un modèle pour d’autres zones franches rurales dans le futur, les cinq départements ruraux étant le siège de l’expérimentation de ce projet de développement. A terme, la création de zones franches rurales serait étendue à l’ensemble du territoire rural français.
* 5 départements de l’Occitanie
Hugues Lallemand, votre conclusion ?
Hugues Lallemand : Vous m’avez décrit comme un guerrier.
Et c’est bien d’un combat que l’on parle ici ! Un combat contre l’inertie, la déshérence, la tristesse, la solitude. L’objectif est à la fois concret, motivant, solidaire et positif, il implique l’ensemble des citoyens des zones concernées, chacun à son niveau, avec ses moyens, ses désirs, ses aptitudes. L’originalité est que le modèle économique du projet n’est pas de transférer le mode de fonctionnement des grandes métropoles dans les zones rurales, il est de donner à celles-ci les moyens de faire naître et croître une population impliquée dans la culture et les usages locaux, en y apportant ce « petit supplément d’âme » dont nous avons tous besoin aujourd’hui…